lundi 1 décembre 2008

Ton Grand-Père est au Goulag

Lundi premier décembre deux mille huit. Vingt-et-une heures dix-neuf (heure française, quatorze heures dix-neuf). Depuis plusieurs semaines, le pare-feu chinois auquel je suis sujet me brise les gonades en menus morceaux. Impossible d'actualiser mon journal en ligne, et je suis passé par tous les proxies. La solution semble bel et bien de changer, une fois de plus, d'hébergeur. Ca n'est pas de gaîté de cœur, l'habitude tendant à engendrer une fidélisation par défaut, mais je me vois contraint, pour un temps, d'aller voir ailleurs si j'y suis. Le lecteur perspicace aura suivi le lien laissé dans les commentaires du dernier billet en date, chez le précédent hébergeur.

Comment rendre compte de l'intervalle, mesuré à trois bonnes semaines, depuis ma dernière entrée? Le rhume qui me tenaillait les bronches a fini par céder, renonçant à se convertir, comme je l'ai craint un moment du fond de mon hypochondrie, en tuberculose galopante. J'ai repris du poil de la bête. Mes tours de piste ont fini par cesser, menacés par une tendinite persistante dans mon genou gauche. J'en étais rendu à plusieurs itérations hebdomadaires de huit kilomètres en petites foulées, sur un circuit en terre battue ménagé à cet effet, dans le lycée qui m'emploie présentement.

Le froid est pour beaucoup dans la métamorphose de mon activité physique. Je me contente souvent de trois ou cinq sessions hebdomadaires de badminton dans le gymnase idoine (ancien réfectoire du lycée, en des temps reculés), renonçant à ma préparation pour le marathon de Paris en 2010. Je verrai à reprendre mon entraînement quand j'aurai regagné la mère patrie. Dans quelque chose comme deux mois et trois semaines. Quatre-vingts jours tout rond, à compter de demain.

Le froid, donc. Car il a fini par se faire sentir, comme partout, si près des Tropiques soyons-nous. La région de Chine méridionale où j'exerce mon sacerdoce est souvent plus fraîche que le sud profond, sans toutefois atteindre les abysses thermométriques du Nord. La Chine est partagée en deux par une ligne située juste au nord de Shanghaï, entre une moitié de pays chauffée en hiver, et une moitié (la mienne) qui se contente de vêtements chauds.

Techniquement, il ne fait pas si froid, mais le matin, il doit faire entre trois et cinq degrés, et si l'après-midi voit le mercure avoisiner les vingt degrés en plein soleil, c'est pour mieux replonger le soir venu. A trois semaines du solstice d'hiver, la saison froide referme ses griffes glacées sur le cœur du pays. Je ressens le froid, surtout au niveau des mains. Ma peau n'apprécie que modérément la brusque chute, et habituée qu'elle est d'un chauffage domestique, elle se couvre par endroits de plaques rouges du plus bel effet, en signe de protestation. Le froid assèche mes doigts.

Je dirais que depuis deux semaines, donc, l'hiver nous est tombé dessus comme une tonne de briques. L'automne en profite pour ronger lentement les feuilles des arbres alentours, modestement, sans en muter les couleurs en un foisonnement chromatique tel qu'on en peut voir en Europe du nord ou au Canada. Le territoire reste essentiellement dominé par les conifères, qui conserveront tout l'hiver leur éternelle verdure.

Le retour à l'enseignement s'est fait sans heurt, après une bonne semaine d'interruption. Je meuble comme je peux les vingt-six heures hebdomadaires (auxquelles viennent s'ajouter deux périodes d'une heure et demie en libre accès, et en plein air, par tous les lycéens, soit trente heures en tout). La semaine dernière, j'ai pour la première fois recouru à la vidéo (toutes les salles du lycée ont été équipées de téléviseurs il y a deux mois); l'idéal serait d'utiliser mon ordinateur portable, mais je l'ai laissé en France. Je me contente d'un diaporama chargé sur ma clef USB.

Avec l'avénement du froid, mon organisme a opté pour son biorythme hivernal, caractérisé par un besoin accru en sommeil, une tolérance amoindrie pour l'obscurité, une tendance certaine à la déprime. Comme je n'en suis pas à mon coup d'essai, je sais voir venir les symptômes de mal-être, et les contrecarrer dans l'œuf. Je me couche donc plus tôt, afin d'approcher autant que faire se peut des dix heures de sommeil désormais nécessaires. Je me lève avec le soleil, pour bénéficier pleinement des dix ou onze heures quotidiennes d'ensoleillement. Je sais relativiser mes coups de blues, comme dérivant de l'éloignement, de la fatigue et de la saison.

Je sors d'un week-end de trois jours, occasionné par des examens blancs pour lesquels les Terminales requéraient le squattage des salles de classe de mes Secondes. Les élèves, heureux, ont pu rentrer trois jours dans la campagne auprès des leurs (d'ordinaire, ils ne bénéficient que d'une pause d'une demi-journée le samedi; le reste du temps, ils ont cours du lundi au dimanche, pensionnaires levés dès six heures, cours jusque vers vingt-deux heures). Leur professeur, bon joueur, en a profité pour se reposer.

Le Sultan, mon collègue et ami venu de France par le même avion pour enseigner l'anglais dans le même lycée chinois, est moins disponible qu'il y a quelques mois, puisqu'il prépare son mariage, imminent si l'administration accepte. Du coup, je lis davantage, et je profite de mes week-ends pour me promener dans la campagne attenante à la petite ville qui nous héberge. Samedi et dimanche, j'ai gravi une série de collines, enchassées sur un chemin de crête menant au point culminant du coin, trois-cent soixante-dix mètres de pinèdes chauffées par le soleil. Adepte de randonnée, de grimpette et de nature, je ne peux que me féliciter de mon initiative.

Il y a trois semaines, j'ai oublié de le mentionner depuis le dernier épisode de mes aventures, j'ai couru un trois mille mètres en compagnie des élèves de Terminale. Je n'ai pas fini dernier, mais je me suis fait prendre un tour par le meilleur d'entre eux. A trente-et-un ans, en bonne forme physique mais sans activité sportive régulière depuis treize ans, j'ai parcouru les sept tours et demi de piste en douze minutes environ. Je considère ça comme un début encourageant. Si je réitère mes tentatives de coureur de fond, je m'essaierai au dix mille mètres en moins d'une heure, avant la fin du mois.

Mes lectures des dernières semaines ont inclus "Twilight", un mauvais roman de vampires pour midinettes, commis par une certaine Stephenie Meyer; "Knight Moves", un formidable roman du génial Walter Jon Williams, dans la veine des premiers romans de Roger Zelazny (j'en dirai sans doute davantage quand j'en aurai le temps); "L'Acacia", un roman dense avec les loups et expérimental dans la forme, de Claude Simon, une réussite totale, à mon avis; les quatre premiers tomes de la bande dessinée "Transmetropolitan", scénarisée par Warren Ellis; "The Affirmation", de Christopher Priest, exploration sur la personnalité, le rôle psychologique de l'auto-fiction et les réalités parallèles (en cours de lecture sur mon ordinateur); et "The Mammoth Hunters", de Mme Jean M. Auel, troisième tome du cycle préhistorique "Earth's Children".

Je m'étendrai davantage sur mes lectures du moment, mes états d'âme et le menu de mes repas quand j'aurai vidé ma vessie, dormi six heures et préparé mes cours de la semaine. Prochaine représentation, demain matin huit heures et quart, en classe onze. Le mardi reste ma journée la plus chargée, avec six heures de cours suivies d'une heure et demie d' "English Corner" avec les volontaires venus braver le froid. Pour le moment, le programme de ma soirée inclut de la lecture, du blottissement sous couette et un sommeil aux rêves fromagers, interrompu toutes les heures et demie par la soif, et vers six heures du matin par la fanfare du lycée...

3 commentaires:

Dr Hiatus a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Dr Hiatus a dit…
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Dr Hiatus a dit…

Je disais : super, je peux m'abonner au fil rss.