vendredi 16 janvier 2009

En cadence

Samedi dix-sept janvier deux mille neuf. Quinze heures trente-et-une (heure française, huit heures trente-et-une du matin). Mes derniers jours en Chine sont placés sous le signe des vacances. En journée, il fait autour des vingt degrés; la nuit, le mercure chute pour frôler les zéro degré. Pas de pluie, ni de neige. Le paysage aride de la région, en hiver, offre un contraste intéressant avec les précipitations constantes d'avril-mai.

Le retour se précise. Mon avion quittera Hong-Kong dans dix-sept jours environ. Je léviterai une quinzaine d'heures au-dessus des terres gelées d'Europe et d'Asie (qui ne forment, au fond, qu'un seul et même continent), avant d'atterrir à Roissy-en-Brie. Mon séjour parisien sera bref; si tout va bien, j'emménagerai sur Lyon début/courant mars.

L'école se dépeuple. Hier avaient lieu les derniers cours de mes élèves, qui m'ont quitté la larme à l'œil, quand je les ai croisés. Ils quittent tous le navire. Quand ils reviendront, je ne serai plus là. Mon successeur sera, paraît-il, Egyptien.

Je m'occupe en dormant, souvent tard le matin (jusque vers huit heures, parfois neuf), en lisant (des bandes dessinées japonaises en ligne, interminables et répétitives à souhait; des livres électroniques sur mon ordinateur; des livres papier sur mon divan), en faisant du sport et en déambulant dans les rues de la ville. Je déménagerai pour la quatrième fois en moins de deux ans, d'ici une dizaine de jours (je pourrai prendre mon billet de train à partir de dix jours avant la date de mon déplacement).

Dans deux jours, autant dire après-demain, le Sultan convolera en justes noces. Je suis invité (je serai le seul élément non-chinois), ainsi que quelques collègues, amis ou élèves locaux. Le mariage aura lieu à soixante bornes, dans un village reculé, où je n'ai pas encore mis les pieds, mais cela ne saurait tarder. Départ demain matin, rencontre avec la famille pour le déjeuner, préparatifs divers (coiffeur, que sais-je encore) dans la journée. Branle-bas de combat le lundi matin, pour une grande réception le lundi midi, qui couronnera le tout.

Plaisanterie de mon cru, survenue l'autre jour pendant que je dormais:
Devinette: Comment appelle-t-on une Edimbourgeoise à voile et à vapeur?
Réponse: Une biscotte.

Aujourd'hui, l'école est désertée. Hier, elle était envahie de motos-taxis venus convoyer les élèves vers les terminaux de bus, pour qu'ils s'en retournent en leurs campagnes respectives. Je me vois bien, la semaine prochaine par exemple, embarquer au hasard dans un bus, rouler une heure au milieu des rizières, tomber par hasard sur des ex-élèves persuadés de ne jamais plus me revoir, tailler le bout de gras en acceptant une invitation à dîner avec les parents, voire à dormir sur place si le cœur y est.

Les préparatifs du nouvel an (chinois) vont bon train. La voisine du rez-de-chaussée a vidé son meublé, elle astique ses chaises au milieu de la cour, parmi les poules qui vagabondent en quête de grain oublié sur l'aire de battement (battue? battage? il doit y avoir un terme technique; je suis sûr qu'autrefois, les gens d'ici utilisaient des nunchakus pour concasser leurs céréales; ou alors, pas la peine avec le riz? J'avoue mon inculture en la matière). Les enfants du quartier font exploser, l'un après l'autre, des pétards qui préfigurent le gros boxon auquel j'aurai droit pour le nouvel an per se (dans huit jours en mode réveillon).

Ma descente vers le sud pourrait poser problème. La date que j'ai fixée pour mon déplacement coïncide avec la plus importante migration annuelle à la surface du globe (davantage de personnes voyagent à l'intérieur de la Chine pendant cette semaine, et sur des centaines de kilomètres, que le nombre de pélerins pour la Mecque en un an). Monter dans le train, m'a-t-on dit, relèvera du travail d'Hercule. Je me laisse quatre jours pour y parvenir.

Programme de la journée: lire un peu (terminer The Black Dahlia, qui est un peu différent de la version filmée (la fin n'est pas la même, ou alors, j'ai occulté mon souvenir de la projection, alors que le début était très fidèle). Mon troisième roman de James Ellroy, après le diptyque (bientôt une trilogie) - American Tabloid - The Cold Six Thousand. J'en possède au moins six autres qui m'attendent au chaud, en France. Aller courir si je m'en sens les jambes (ou jouer au badminton si je trouve des partenaires). Sortir manger du poulet. J'aime mes vacances.

dimanche 11 janvier 2009

Mélancolique Améthyste, Madeleine, Amandine

Dimanche onze janvier deux mille neuf. Dix-huit heures cinquante-huit (heure française, onze heures cinquante-huit du matin). Depuis un peu plus de quarante-huit heures, je suis en vacances, pour une durée indéfinie. Ma dernière semaine de cours s'est bien passée, le cheval sentant l'écurie, le dernier coup de collier n'a pas été trop dur à donner. Mon problème de voix s'est auto-régulé jeudi dans la matinée, et j'ai pu achever mon mandat comme je l'avais commencé.

Ce semestre, je n'aurai manqué aucun cours, et ne serai pour ainsi dire jamais arrivé en retard (sinon en étant retenu dans la classe précédente à l'intercours par les questions des élèves). Ma carrière d'enseignant, jusqu'à nouvel ordre, s'arrête donc ici. Je n'écarte pas totalement la possibilité de renouveler un jour ou l'autre une expérience similaire, avec ou sans expatriation, mais dans l'immédiat, j'entends bien changer d'horizon, et d'activité rémunérée. Je n'ai pas démissionné de l'Education Nationale pour rien, je ne suis pas taillé pour faire ce métier plus d'un semestre par-ci, par-là.

Mes vacances commencent bien. Hier, je me suis acheté des chaussures de sport. Aujourd'hui, j'ai couru douze kilomètres avec, et j'ai des ampoules. J'aurais pu courir davantage, mais je m'étais fixé douze bornes, et je m'efforce de tenir mes engagements. Ca n'est pas tout à fait une bonne résolution de début d'année, puisque je n'en prends jamais, mais il n'est jamais trop tard pour corriger ses vilains défauts.

Programme de la soirée: sortir manger des nouilles avec le Sultan et sa fiancée. Ne pas trop marcher, j'ai mal aux jambes. Me coucher tôt, La Nuit du bombardier, de Serge Brussolo, sous les yeux. Je suis aussi en train de lire The Giver, de Lois Lowry. Je vais dormir longtemps, lire à petites doses, passer ma vie sur internet. Faire du sport dans deux ou trois jours, quand mes courbatures se seront atténuées. Grelotter de froid dans mon appartement sans chauffage. C'eût pu être pire, j'ai ouï dire qu'à Paris, il neige.

lundi 5 janvier 2009

Synchronisation des Monstres

Lundi cinq janvier deux mille neuf. Dix-huit heures onze (heure française, onze heures onze du matin). Mon imminent retour sur le plancher des vaches fromagères se précise. J'ai pu faire avancer mon avion, moyennant un supplément de mille cent dollars hong-kongais que je paierai au comptoir, entre deux demis, avant de prendre mon envol, le jour même. Si la haute finance internationale n'a pas trop merdé depuis mai dernier, ça devrait faire dans les cent euros.

Pour parvenir à cet exploit communicationnel, j'ai dû, dans un premier temps, accéder au site de ma compagnie aérienne, mystérieusement bloqué par le Great Firewall of China. Puis, naviguant en sous-marin sur ce site mal agencé, j'ai mis des plombes avant de trouver quels numéros appeler, depuis la France ou la Baie des Parfums (aucun numéro en Chine continentale, pas de bol). Nouvelle recherche laborieuse pour trouver l'indicatif téléphonique à composer pour joindre Hong-Kong depuis la Chine. En définitive, impossible d'appeler internationnalement sur mon poste fixe, allez savoir pourquoi.

C'est un ami en France qui s'est chargé de la démarche téléphonique. Je quitterai, donc, Hong-Kong le mardi trois février sur les coups de minuit, pour arriver sur Paris vers neuf heures le mercredi quatre au matin. Dans l'intervalle, il me reste quatre petites semaines à passer en Chine, dont quatre jours de cours, après quoi je serai officiellement démis de mes fonctions (puisque je renonce à renouveler mon contrat un troisième semestre). Je sens que les derniers jours d'enseignement seront difficiles.

Première difficulté, ma voix. Pour une raison mal élucidée (sans doute liée à la crève qui traîne dans ma gorge depuis quelques jours, le froid ambiant n'y est sans doute pas pour rien non plus), j'étais, aujourd'hui, au bord de l'extinction de voix. J'ai pu assurer mes cinq heures de cours, mais j'ai peur pour demain. On verra si la nuit me portera chance. Je compte me coucher tôt, rester au chaud sous la couette et boire beaucoup. On verra bien au matin, si je suis d'attaque.

Le plan de cours de la semaine repose sur deux axes, un "petit bac" (ce jeu où les concurrents doivent trouver des mots entrant dans des catégories pré-définies, commençant tous par la même lettre initiale déterminée par le meneur de jeu) qui a fait ses preuves, et une excursion dans la musique moderne qui a vite montré ses limites (hier, dimanche, j'ai constaté que la plupart de mes élèves, âgés de quinze ans en moyenne, n'appréciaient que la soupe variétoche guimauve chinoise, plus quelques tubes immortels comme les chansons des Back Street Boys ou des Carpenters que les haut-parleurs du lycée nous assènent plusieurs fois par jour).

L'aphonie risque de nuire à mon jeu. Elle pourrait aussi compromettre les activités d'ameublement visant à compenser mon manque de préparation. En ultime recours, il faudrait que je trouve un film, ou dessin animé à diffuser aux gamins, en cas de grand silence. Ou mimer mes mots. Les écrire au tableau. Je sens vite venir des configurations comiques un brin gênantes. Enfin, bon. On verra demain si je tiens le coup vocalement.

Il me reste quatre jours de cours, donc, soit vingt-et-une classes, plus deux périodes de conversations en petit comité sur thèmes libres. J'ai commencé à dire adieu, à mes cinq meilleures classes dans un premier temps (c'était aujourd'hui), aux vingt-et-une autres dans un second mouvement de balayage. Je leur donne collectivement mon adresse électronique, mais je sais que peu d'entre eux prendront la peine de m'écrire; du moins ceux qui désirent garder le contact en auront-ils la possibilité.

Programme de la soirée: d'ici vingt minutes environ, sortir manger une soupe de poulet, sans doute suivie de riz cantonais. Ou de nouilles. Quel dilemme. Ma vie est trépidante. Une fois de retour ici, lecture sous la couette. J'ai terminé ce matin un roman de Serge Brussolo, Ma vie chez les morts, et je viens d'entamer Stranger in a Strange Land, de Robert A. Heinlein, qui démarre sur les chapeaux de roues. Dormir au moins huit heures, m'hydrater, me lever trop tôt. Dans un peu moins de quatre-vingt-quinze heures, mon sacerdoce prendra fin.

jeudi 1 janvier 2009

Dragon Noir

Jeudi premier janvier deux mille neuf. Vingt-trois heures cinquante-deux (heure française, seize heures cinquante-deux). L'année commence sur les chapeaux de roues. Hier soir, après un repas trop pimenté en compagnie du Sultan et de sa future épouse, je suis passé par surprise dans les soirées de fin d'année organisées par deux de mes classes, où j'ai chanté des tubes des et des Backstreet Boys et des Carpenters. Succès garanti.

Retour vers vingt-deux heures, plongée sous la couette. Depuis quelques jours, mon mal de gorge nocturne s'accompagne d'un robi-nez inconsolable et d'une fièvre passagère, aux petites heures du matin. Cette nuit, ça n'y a pas coupé. Après m'être effondré vers minuit moins dix, je me suis éveillé vers quatre heures trente du matin, tourmenté par une légère fièvre, la tête pleine de phrases en indonésien. J'ai mis deux bonnes heures à me rendormir.

Ce matin, premier d'une parenthèse de trois jours durant lesquels je ne travaillerai pas (avant d'enchaîner, pour ma dernière semaine de cours, six jours d'affilée, à commencer par un dimanche œuvré pour les besoins du culte), j'ai rejoint le Sultan pour un brunch, soupe de nouilles et raviolis chinois, avant de l'accompagner, avec son chien, sa fiancée et un de ses élèves, au parc central de la ville. J'y ai mollement écouté Hu Jintao souhaiter la nouvelle année à ses compatriotes, avant d'opter pour un retour en moto-taxi, vers trois heures.

Deux heures de sieste plus tard, encadrées de deux courtes périodes à lire The Gum Thief, le tout dernier roman de Douglas Coupland, je tente, en vain, de jouer au badminton, avant d'opter pour du tennis de table. Le Sultan et son amie m'interrompent au bout de vingt minutes: l'amie qui voulait nous inviter à dîner est arrivée, illustrant par là une notion de la ponctualité toute chinoise, trois quarts d'heure avant le rendez-vous fixé le matin même. Après avoir maugréé dans ma barbe et pris mes dispositions testamentaires, j'ai pris place dans la voiture qui nous conduisit vers le lieu des agapes.

Soirée bien commencée, mais mal terminée. Repas désespérément pimenté. Nous nous rabattons, le Sultan et moi-même, sur les rares plats sans piment, arrosant le tout (de trop) d'alcool (de la bière, du vin rouge chinois ou du tord-boyaux local, selon les envies de chacun). Fin de festin expédiée, nous nous acheminons vers le karaoké où doit se poursuivre la soirée.

Après un duo sur Ticket to Ride des Beatles repris par les Carpenters, je danse tandis que le Sultan, pris de malaise, se rend aux toilettes, dont il ne ressortira que pour prendre place dans l'ambulance commandée par un docteur en médecine, fort opportunément présent sur les lieux. Etat de choc léger. Acheminement vers l'hôpital. Consultation, perfusion, sommeil. Je viens de rentrer en moto-taxi, laissant le patient sous bonne garde (le médecin qui l'a ausculté n'a pas semblé inquiet, mais ce genre d'incident est toujours impressionnant pour l'entourage de l'infortuné).

Programme de la soirée: m'aller coucher, lire deux pages et dormir. Le froid est mordant ce soir, mais j'espère trouver le repos. Si le téléphone ne sonne pas durant la nuit, je saurai que rien de grave ne s'est produit. S'il sonne, je me déplacerai et avancerai tous les frais médicaux nécessaires. Demain matin, grasse matinée, prise de nouvelles auprès du malade ou de sa garde rapprochée, promenade dans les collines si le temps reste au beau fixe, farniente, repos, sommeil à toute heure du jour ou de la nuit. Plus que trente-et-une heures de cours, et je serai libre de mon emploi du temps.