vendredi 29 janvier 2010

Bitumineux

Vendredi vingt-neuf janvier deux mille dix. Vingt heures quarante-six. Douzième jour de travail consécutif. Encore deux, et je prendrai peut-être une journée de repos, histoire de tenir le coup les treize jours suivants, que je suis parti pour œuvrer consécutivement. Heureusement que j'ai de l'endurance (et que les journées ne font en moyenne que quinze heures de travail, sinon je pourrais avoir du mal).

Les plaies de ma chute à vélo se sont peu à peu résorbées; le bras perdu a repoussé, les brûlures au troisième degré n'ont laissé qu'une légère dorure sur l'épiderme régénéré, les yeux exorbités ont regagné leurs gouffres cosmiques. Bénie soit ma constitution de Klingon, et les organes surnuméraires dont la Nature m'a pourvu. Exagérations mises à part, je me remets lentement des bleus et des contusions, j'ai encore un peu mal au dos, mes côtes sont endolories et les dermabrasions ont produit une belle croûte qui protégera les tissus internes de l'air ambiant, le temps que l'organisme fasse son travail et que le derme cicatrise. Je peux m'estimer heureux. Je ris d'ailleurs de joie, d'une joie contenue par ma morgue habituelle, mais au dedans, c'est un soleil éclatant qui rayonne. Prenez garde aux radiations.

Ce soir, je suis seul au magasin. Mon frère est sorti dîner avec son amie, il devrait revenir dans deux ou trois heures; j'ignore si je serai encore présent. Motif officiel de ma présence prolongée en ces lieux: faire du rangement. Raison réelle, secrète et sous-jacente: faire du rangement. Il y en a, de fait, bien besoin. Pour mieux étayer mon exo-squelette, exercer mon sacerdoce et étaler le contenu de la réserve sur le dallage, inconscient de ce qui l'attend, de la boutique, j'ai hermétiquement scellé l'accès à l'arrière-salle, où les rôlistes et plateauïstes du vendredi soir s'ébattent dans leur milieu naturel. J'ai une mission pour le Seigneur, et je saurai m'en acquitter. Pour ce faire, il a fallu faire des sacrifices, et réduire la membrane qui m'unit à ma communauté. Qu'elle repose en paix.

Hier soir, je suis rentré tôt, j'étais chez moi à vingt-et-une heures, au lit à vingt-deux et endormi à vingt-deux heures vingt-quatre. A vingt-trois heures vingt-cinq, j'étais de nouveau éveillé, et il m'a fallu attendre près de cinq heures du matin, pour que le sommeil revienne. La nuit aura donc été courte, d'autant plus courte qu'hier, le schéma n'a été différent que par l'heure plus tardive à laquelle j'ai regagné mon domicile, mais l'assombrissement dans les vapeurs méphitiques de l'outre-espace n'est survenu que vers les cinq ou six heures du matin (idem lundi, voire mardi). Bref, j'ai peu dormi, et mon humeur en début de journée s'en est ressentie, bien que ma bougonnante aura ait fini par retomber, en fin de soufflé, à mesure que la journée s'écoulait. Ce soir, j'ai mal aux épaules, et j'ai les orbites lasses, mais je suis apaisé.

Bilan de mes insomnies, mes lectures ont avancé plus vite que de coutume. J'ai lu les deux premiers volets des aventures de Honor Harrington, capitaine stellaire, telles que décrites par David Weber. J'ai réglé son compte à Nicolas Le Breton, dont "Le Maître des Gargouilles", une enquête dans le Lyon médiéval, m'a tenu en haleine une nuit durant. J'ai entamé, et bien avancé, "La Reine d'Amérique", de Russell-H Greenan, et j'ai lu une autre Série Noire en début de semaine, je ne sais plus laquelle, au juste (mais c'était bien). Un libraire de mes amis (et clients) m'alimente chaque semaine en polars, et parfois en romans de science-fiction, en m'apportant le mardi soir une sélection de cinq ou six romans d'occasion puisés dans son fond de commerce. J'achète généralement les yeux fermés, et je viendrai un jour à bout du tout. Oh, oui. Un beau jour, ou peut-être une nuit.

Vingt-et-une heures. Je vais retourner à mes rangements. Un reste de cassoulet froid m'attend dans mon frigo, et j'ai bon espoir de l'aller rejoindre d'ici une ou deux heures. Mais d'abord, mettre de l'ordre dans le chaos ambiant. Programme de la soirée: voir ci-dessus. Rentrer. Lire. Dormir si je peux. Demain matin, onze heures, premier tournoi magique du week-end (ils seront au nombre de cinq). Ce week-end, grands tournois d'avant-première sur la nouveauté magique de la semaine prochaine, la Veille Mondiale (traduction libre du titre, qui ne sera apparemment pas traduit). Il faudra que je songe à me mettre sur ce jeu, à l'occasion, histoire de voir comment il tourne.

mercredi 27 janvier 2010

Danse avec l'Asphalte

Mercredi vingt-sept janvier deux mille dix. Vingt heures trente-et-une du matin. Je poursuis ma traversée du vingt-et-unième siècle en solitaire. Pour le moment, tout se passe bien. La température au sol est de moins quatre degrés, paraît-il (je ne suis pas encore sorti vérifier). En intérieur, elle est suffisante. Il va bientôt neiger. J'attends de voir.

Avant-hier, je suis tombé de vélo, tôt le matin, sur les coups de midi, alors que je moulinais ferme, en danseuse, sans que mon postérieur touchât la selle, donc, mais avec pour conséquence une sorte de chorégraphie avec le bitume du plus bel effet, dont deux genoux, un coude et divers micro dermabrasions. J'ai saigné, mais peu. Mon pantalon a survécu, sans déchirure, à la chute (mon blouson, en revanche, présente un accroc important sur la manche ayant amorti l'impact). L'essentiel du choc a été encaissé par l'épaule, heureusement rembourrée, avec omoplate et muscles endoloris pour la nuque attenante. Pas de fracture, mais des contusions, des bleus et des contractures musculaires. Les lunettes n'ont rien eu, bien qu'elles eussent volé.

Le vélo était un vélo libre version lyonnaise, plus léger que ses descendants de la capitale, sans doute moins robuste, aussi (je n'ai jamais déraillé avec les spécimens parisiens, alors que c'est la deuxième fois, sur Lyon, que je tombe de vélo, ou peu s'en fallut la première fois, à cause d'une chaîne qui décide, en plein effort, de quitter son sillon pour me précipiter sur le plancher des vaches; je n'apprécie que modérément). Conséquence directe, j'ai reporté ma partie de badminton. Parce que j'ai déjà assez de courbatures comme ça.

Je me suis mis à lire les aventures d'Honor Harrington, officier de la marine navale de l'espace de la puissante monarchie éclairée de Manticore, telles que narrées par l'Américain David Weber. J'en suis au second volet, "The Honor of the Queen", après avoir apprécié "On Basilisk Station", premier volume de la série, la semaine dernière. C'est également mon programme de la soirée, une fois regagné le domicile, frigorifié à vélo, après la clôture du tournoi magique du jour. L'hiver approche!

dimanche 17 janvier 2010

Garanti sans Conservateur

Dimanche dix-sept janvier deux mille dix. Vingt-trois heures neuf. Aujourd'hui, je ne travaille pas. C'est mon jour de congé. Pourquoi, dès lors, suis-je au boulot, en train de boucler la journée comptable du commerce que je tiens le reste du temps? Par commodité: je n'ai pas de connexion internet chez moi. Le Réseau m'appelle, et je réponds présent.

Je suis rentré chez moi vers six heures, ce matin, après une partie de jeu de rôle où j'ai tenu la chandelle, volé la dynamite et tué les méchants nazis. En simultané, un tournoi magique à tenir, des cartes de lot à donner aux heureux lauréats, des ventes à stimuler, des malaises à simuler et des biscuits salés à manger par palettes. Vers trois heures du matin, je me suis attaqué au bouclage, puis à la gestion du stock. La réserve est à peu près rangée. J'ai encore prévu d'y donner un coup de pelle demain matin, si je me motive pour venir tôt.

Cela va faire cinq ans, peu ou prou, que je tiens le présent journal, hébergé successivement où j'ai pu. Je ne sais plus si la naissance en remonte à janvier, ou mars. J'ai prévu, un jour, de relire le tout, depuis le début, pour faire sens de ma vie ce lustre écoulé. Je ne sais pas si ça en vaut vraiment la peine: j'ai une idée assez juste de ce que fut ma vie, le passé est, comme on l'imagine, révolu, le chemin parcouru est considérable. Je n'ai, de fait, que peu de contacts avec le milieu où je baignais il y a cinq ans. Les regrets sont variables.

L'introspection qu'occasionne la rédaction d'un journal semi-public, a des côtés plaisants. Elle permet de se régler avec soi-même sur certains éléments restés sous-jacents dans la gestion du quotidien (un peu comme le sommeil, et les rêves, qui mettent à plat le bagage, accèdent à l'inconscient et modifient le faisceau de compromis qui s'édifie en personnalité). La part d'exhibitionnisme qui sommeille en tout littérateur se voit apaisée par la pseudo-publication (on me lira), le travail sur le texte permet de ménager des effets de style à bon compte, sans avoir la pression que représente l'enjeu d'une publication officielle, dans les circuits professionnels. Ni ambition, ni enjeu.

Programme de la soirée: boucler la journée du magasin. Jouer encore un peu, si des parties s'offrent à moi et que la fatigue le permet. Rentrer tôt (avant une heure du matin), lire quelques heures, dormir. Au matin, faire des courses, reprendre le chemin du commerce, ranger ce qui doit l'être. Entamer un nouveau cycle. La fin du mois est proche, deux mille dix touche à son terme, repentez-vous, vos charpentes menacent de s'effondrer dans la lie des siècles. Rigueur de la postérité.

vendredi 15 janvier 2010

Mort Thermique de l'Univers

Vendredi seize janvier deux mille dix. Minuit dix-neuf du soir. En Chine, personne ne vous entendra crier. J'entame ma quinzième heure de travail. Alors que la fatigue me guette (hier, dix-huit heures de travail consécutives, rentré chez moi vers quatre heures du matin, debout ce matin pour neuf heures et demie), j'ai entrepris de ranger complètement la réserve du magasin. Je vais sans doute y passer la nuit, et je n'ai aucune idée de comment je tiendrai demain. Sans parler de ma partie de jeu de rôles prévue, en nocturne, dans les locaux de l'association.

Il y a deux ans, je démissionnais de l'Education Nationale. Pour me changer les idées, je partais en Chine, où je serai resté un an, peu ou prou, toujours à enseigner. Il y a un an, je donnais mon dernier cours. Cet aspect-là du métier ne me manque pas. Le contact individuel avec les jeunes, un peu, encore que, je le retrouve, sous une autre forme, dans le jeu organisé et les relations publiques propres à la tenue d'un commerce. Le bilan est positif. Je dors peu, mais j'ai le moral. Pas un instant je n'ai regretté d'arrêter l'enseignement, pour lequel je n'étais pas fait, et j'envisage d'exercer ma profession actuelle jusqu'à ce que mort s'ensuive (ou la retraite, sait-on jamais, si elle existe encore dans une quarantaine d'années).

J'ai entamé hier soir le tour dernier roman de Jasper Fforde, "Shades of Grey", dans une société post-révolutionnaire fondée sur un spectre chromatique, selon les couleurs perçues par les membres des différentes castes. Pour le moment, ça n'est pas très original, mais je suis prêt à lui donner sa chance (son cycle du Bookworld, les aventures de Thursday Next, détective littéraire, sont formidables). Je le lirai ce dimanche, qui sera mon jour de congé de la décennie. Félicité dans les chaumières.

Je me suis foulé la cheville. Hier, je penchais plutôt pour la gauche, aujourd'hui c'est résolument la droite qui me fait souffrir. Quelques dizaines d'heures à piétiner, en transportant des charges lourdes, et il n'y paraîtra plus.

Programme de la nuit: ranger la réserve, inventorier le contenu d'icelle, ne pas dormir, ou tout laisser tomber dans un quart d'heure pour rentrer chez moi, dormir. Demain, être un zombie dans un gant de velours, voir se coucher le soleil en milieu de matinée, émerger d'une profonde étreinte avec le bitume mental pour entonner des mélopées contradictoires avec les constellations pivoines. Ou autre chose. Ce qui me rappelle que je n'ai toujours pas, copieusement pas, dîné. On verra ça pour le petit-déjeuner, s'il est une aube pour envisager ce type d'agape.

mercredi 13 janvier 2010

Dans l'Espace, Personne ne Vous Entendra Manger des Tartines

Mercredi treize janvier deux mille dix. Vingt-et-une heures quarante-huit. Le tournoi magique du soir touche à sa fin. Les joueurs ne tarderont pas à s'en retourner vers leurs domiciles respectifs, le cœur empli de joie. Je resterai, pour ma part, encore un peu, le temps de boucler ma journée, retrouver des produits vendus à la va-vite, remettre des boissons dans Moloch le Réfrigérant, toujours avide de recevoir sa ration quotidienne de sacrifices. Lire un peu, surfouiller la Toile. Avoir mal à la cheville, en espérant ne pas me l'être foulée.

L'hiver touche à sa fin. Il a été plutôt blanc, un peu poudreux, un peu glissant, il persiste encore dans l'ombre des doigts ou au détour d'un courant d'air plus frais qu'un autre, mais dans l'ensemble, aujourd'hui, l'ambiance était chaleureuse, printanière. Il faisait quatre degrés. Je me suis promené dehors sans manteau, en pull-over, toujours avec ma fidèle écharpe qui ne me quittera qu'en avril. Ce matin, j'ai fait la grasse matinée. Le travail d'équipe permet parfois ce genre de luxe.

Bonne année. Il paraît que nous avons changé d'ère. Dixième année du vingt-et-unième siècle, n'en déplaise aux moutons qui ont célébré le nouveau millénaire un an trop tôt. Je n'en démordrai pas. Hugh Jackman était beaucoup trop grand pour le rôle. Et le cuir noir, c'est très laid. Vivent les justaucorps jaune et bleu (avec ou sans accord de l'adjectif chromatique au nom qui le précède, mais réformez-moi tout ça, boudiou, mais que font les Immortels quand on a besoin d'eux? Réponse: ils meurent, resquiet in pacem Claude Lévi-Strauss, i tutti quanti). Mais je m'égare.

L'année deux mille neuf s'est bien terminée. En compagnie de mon frère, de ma belle-sœur et de quelques centaines de passagers anonymes, je suis remonté, pour la Saint-Sylvestre, en mon Île-de-France natale, où j'ai réveillonné, plusieurs fois d'affilée, avec des amis, de la famille et encore des amis. Et de la famille. Et j'ai repris le train. Et le chemin du travail. Et il est recommandé, en français, de ne pas commencer de phrase par une conjonction de coordination.

Je suis en forme. Je n'ai, à vrai dire, jamais été en aussi bonne forme. A moins que. Je ne sais plus. A mon âge, on commence à perdre la tête (seconde allusion à Highlander dans ce billet). Je m'épanouis dans mon travail, j'ai allégrement entamé le onzième mois dans l'entreprise familiale, et je pense maîtriser de mieux en mieux mon instrument. Mon sens des rapports humains, ma mémoire surentraînée et mon endurance de marathonien font de moi l'homme idéal pour le poste que j'occupe. Je suis content de ne plus être prof, je n'étais tout bonnement pas à ma place derrière un pupitre. Un comptoir vaut mieux que deux tu l'auras.

Lectures du moment. "Excession", de Iain M. Banks, cinquième volet du cycle de la Culture. "On Basilisk Station", de David Weber, premier chapitre des aventures de Honor Harington. De la science-fiction. Dans l'espace. Avec des vaisseaux, des robots, des trous-de-ver, des empires qui guerroient, des explosions et des drames. Toujours dans l'espace, la partie one-shot de jeu de rôles du deux janvier a subi le contre-coup de la fatigue générale, d'où frictions, aigreurs, plaisir inégal. Gageons qu'il ne se sera agi que d'une ornière passagère. Les loisirs sont là pour être vécus dans la bonne humeur.

Que dire d'autre? Hmm. Il ne se passe rien de transcendant dans ma vie, elle est bonne, j'en suis content. De gros changements à venir en deux mille dix, un agrandissement du local occupé par le magasin, un mariage et plus si affinités du côté de mon frère, une grosse convention du jeu pour la fin de l'année. De l'argent, en petite quantité; du temps libre, pour lire enfin tous les livres accumulés; un ou deux voyages, à l'autre bout du monde ou quelque part en Europe, sans doute un peu des deux. Tout dépendra du timing, des finances, de la disponibilité de mes partenaires commerciaux.

Il pleuvait, hier soir. Je me suis remis au jeu de cartes évolutif adapté des romans de George R. R. Martin, "A Game of Thrones". J'ai pu prendre place à une table de Shadowrun. J'ai attaqué un roman que j'ai bon espoir de finir demain. Je dors cinq heures par nuit. Je suis une dynamo humaine. Je crains de m'être foulé la cheville en courant comme un con vers la boulangerie. Ou pas. On verra demain si elle a enflé.

Programme de la soirée: ranger encore quelque peu mon lieu de travail. Nettoyage par le vide? Retour au bercail peu après, ou peu avant minuit. Lecture sur le pouce, selon la fatigue. Demain matin, faire des courses. Tenir seul le magasin un moment, recevoir des colis. Ployer sous la charge. Ce soir, avant d'avoir quitté la boutique, tenter de vider la table de travail, aussi impossible cela soit-il. Vivre longtemps, et prospérer.