jeudi 11 décembre 2008

Retour au Monde dans moins de Quatre-Vingts Jours

Jeudi onze décembre deux mille huit. Dix-neuf heures quarante-cinq (heure française, midi quarante-cinq). Tentons un follow-up à mon entrée d'hier. La pianiste amatrice de l'étage du dessous a ressorti ses gammes, et mon ordinateur poussif refuse que j'écoute Pantera en même temps que je me promène sur internet. Bon. Ma revanche sera terrible.

La journée s'est bien passée, malgré une légère déconvenue (j'ai appris que les examens de mes élèves ne commenceraient que demain soir, et que, par conséquent, je devrais assurer tous mes cours en journée). Mon cours de la semaine n'est pas très difficile à reproduire ad nauseam, il consiste à faire du bla-bla pendant quinze minutes, en introduisant quelques mots de vocabulaire essentiels à la compréhension de la seconde étape, laquelle se limite à lancer un dessin animé sur les écrans de télévision dont le gouvernement chinois a généreusement doté chaque salle de classe (mille euros le poste).

N'empêche. Nonobstant. J'en suis à vingt-et-un visionnages en quatre jours de Wallace & Gromit: The Wrong Trousers, et une portion non négligeable du plaisir de me projeter dans un week-end anticipé était de ne pas avoir à le regarder cinq fois de plus. Je suis patient, et la répétition ne me dérange pas, mais bouquiner au lit m'aurait davantage motivé que me taper quatre ou cinq projections supplémentaires des mêmes trente minutes d'animation en pâte à modeler. Je connais les dialogues presque par-cœur. Je pourrais toujours changer le contenu du cours, me direz-vous. Mais ça serait justement aller à l'encontre de mon projet, lequel consiste précisément en une routine totale de mon quotidien. Le temps passe plus vite dans la répétition.

Ma santé ne pose aucun problème. Le froid et la sécheresse contribuent à m'avoir couvert les mains de petites plaques rouges désquamantes, mais depuis deux jours, leur propagation s'est stabilisée (un peu d'eczéma, pour les non-hypochondriaques). D'après mon sponsor, le Professeur van Houten, mes hanches devraient déjà s'être vu perforer par l'acide dilué en suspension dans l'eau de ma douche, mais je n'observe pour le moment aucune lésion cutanée. Je ne tousse même plus.

Le froid. Le Grand Froid. Il existe en Chine, mais plus loin au nord. Vers Pékin, voire en Mandchourie, le mercure chute et la neige tombe. Mon ami Niin, actuellement en Corée, m'a dit l'autre jour qu'il y faisait moins douze, ou moins sept, je ne sais plus. Ici, il doit faire dans les plus cinq le matin, et cet après-midi, je suis persuadé que le thermomètre a dépassé les vingt degrés en plein soleil. Certains élèves, fraîchement débarqués d'une sieste réparatrice et d'une frénétique partie de basket, avaient même mis en route les ventilateurs de leur salle de classe, tandis que les gamines emmitouflées du premier rang grelottaient dans leurs gros anoraks. J'ai rétabli l'ordre dans le groupe humain, car telle est ma mission d'enseignant. Avant de me réfugier derrière les péripéties d'un chien en pâte à modeler.

Si la température extérieure fluctue, oscillant entre du froid de saison au petit matin pour grimper à des altitudes printanières dès que le soleil a pointé son nez deux ou trois heures, elle reste toutefois constante, en mon rechet, où elle semble stationnaire autour des dix ou douze degrés. Je me les pêle. Les Chinois du Sud n'ont pas le chauffage, et le double vitrage n'est qu'un doux rêve. Les nappes d'air froid venues de Sibérie, qui dominent la Chine du Nord et font de la capitale chinoise une annexe de Moscou, envoient des langues de chat nocturnes lapper le grand Sud. D'après mes voisins, il fera vraiment froid le mois prochain. En attendant, je vis l'hiver le plus chaud de ma vie.

Le week-end, depuis deux ou trois semaines, je passe deux ou trois heures à crapahuter dans les collines situées non loin de mon lycée, une fois traversée la grande route poussiéreuse où les semi-remorques passent rejoindre l'autoroute située à proximité. La ville où je demeure et enseigne, Xinfeng pour ne pas la nommer (oups, trop tard), est une petite bourgade en pleine expansion, enchassée dans une campagne densément peuplée, essentiellement rizicole, comme la Chine en compte tant. Si bien que dans certains quartiers, la ville n'a eu le temps de jeter sur le fond rural ambiant qu'une ébauche d'urbanisation. La grande route poussiéreuse a tout du décor de western, toutes les maisons collées présentant une façade unique derrière laquelle le promeneur soupçonne l'absence de profondeur. Je traverse un décor pour me rendre en montagne.

En fait de montagne, il s'agit surtout d'une demi-douzaine de collines boisées, qui se succèdent en une série de sentiers grimpants, crescendo jusqu'au sommet local, trois-cent soixante-dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Une grosse antenne de transmission électrique s'y dresse, surveillée par un gardien résidant sur place. La solitude étant son lot quotidien, il accueille avec plaisir et locacité les visiteurs de passage. La promenade proprement dite me prend deux heures aller et retour. Si je m'attarde à tailler le bout de gras, elle peut durer trois heures, le temps de redescendre pour m'aller cloître dans mon mausolée.

J'ai peu lu ces derniers temps, mais depuis quelques jours, le rythme s'accélère (il faut dire que je néglige quelque peu le Never-Ending Book Quiz, je finirai bien par perdre ma quatrième place au classement, un jour ou l'autre). Je suis resté une bonne semaine sur The Mammoth Hunters, troisième tome de la pentalogie Earth's Children, de l'Américaine Jean M. Auel. Nous sommes dans le roman érotico-civilisationnel préhistorique. L'héroïne est une jeune Homo Sapiens du palélolithique (âge de la pierre taillée, si mes souvenirs d'enfance ne se sont pas trop émoussés), belle et ingénieuse, élevée par des Homo Neanderthalensis qui ont fini par la bannir à la fin du premier tome.

Dans le second volume, elle met cinq cents pages à rencontrer Jondalar, le beau tailleur de silex romantique venu du bout du monde pour d'obscures raisons philosophiques. Ils sont tous deux blonds, lui mesure un mètre quatre-vingt-quinze et elle quelque chose comme un mètre quatre-vingts, ils sentent le sable chaud et le crottin de cheval, car la belle a inventé la domestication, vu qu'elle s'emmerdait, toute seule dans sa grotte, à attendre le prince charmant. Elle a aussi inventé l'aiguille à coudre, le briquet, le langage des signes et la sagaie. Une sorte de Rahan avec des tresses. Les deux finissent par s'unir, c'est merveilleux, ils s'aiment comme des bêtes et se prennent dans toutes les positions entre le lion des cavernes et les deux chevaux du cheptel.

Ils s'aiment, mais se compliquent la vie. Convaincus de ne plus être aimés de l'autre, ils s'enferment dans des attitudes ambigües qui ne facilitent pas le dialogue. Je soupçonne l'auteur d'y être pour beaucoup. Dans le troisième tome, ils quittent leur nid d'amour pour partir à la recherche d'autres humains dans la zone. Ils tombent sur les chasseurs de mammouths, qui adoptent Ayla. La pesanteur romantico-érotique vient s'alourdir d'un triangle amoureux, le couple étant rejoint par un sculpteur d'ivoire venu d'Afrique noire. Il faudra attendre le dernier chapitre pour que se démêle l'écheveau des sentiments humains.

Je prends plaisir à cette lecture, ne serait-ce que pour constater à quel point les personnages peuvent être stupides. L'écriture n'a rien de follichon, sauf parfois dans la description des paysages et des rituels. L'énumération botanique de la faune des steppes apporte une touche pédante qui permet d'éviter l'effet Barbara Cartland. Je lirai avec intérêt les deux derniers volumes. Dans le quatrième, je prédis que les deux amoureux poursuivront leur voyage pour rentrer chez Jondalar, qui se languit des siens.

Lu en début de semaine, Ship of Strangers, de Bob Shaw, auteur nord-irlandais méconnu (apparemment, trois de ses romans, sur une trentaine, ont été traduits en français dans les années soixante-dix). Il s'agit, à la base, d'un recueil de nouvelles mettant en scène une même équipe d'explorateurs interplanétaires. Le fil conducteur, héros par défaut, est un vétéran du Service Cartographique, revenu de tout, qui continue de se ré-engager parce qu'il a la bougeotte et ne supporte pas bien longtemps la vie civile. Nous sommes dans un contexte familier des lecteurs de Van Vogt, auquel le livre est dédicacé. Les nouvelles ont été soudées par une trame narrative, à la manière de The Voyage of the Space Beagle, qui semble LA référence principale de Shaw, en l'occurrence.

L'avantage des romans de Bob Shaw, dont j'avais précédemment lu Medusa's Children et Orbitsville (qui a connu deux suites, que je lirai un jour), est commun à bien des ouvrages de la "grande époque" de la science-fiction: en moins de trois cents pages, ils arrivent à raconter ce que les auteurs actuels mettraient trois volumes de cinq- ou huit-cents pages à distiller. Ils savent aller à l'essentiel. Je trouve en outre que dans Ship of Strangers, Bob Shaw a réussi à donner à son protagoniste davantage d'épaisseur, notamment psychologique, que n'en ont souvent les personnages stéréotypiques du genre et de l'époque.

Actuellement en chantier, JPod, avant-dernier roman en date (publié en deux mille six) du Canadien Douglas Coupland. Suite thématique à Microserfs, sorti au début des années quatre-vingt-dix et ayant introduit la notion (et le terme) de "Mac-job": des ingénieurs en informatique travaillant pour une compagnie de développement technologique dans un ensemble de six cubicles (des espaces de travail compartimentés par des cloisons en préfabriqué, sans plafond, je ne connais pas le terme en français) contemplent leur interchangeabilité, l'absurdité de leur existence et leurs passions de geeks (le terme a connu un certain succès ces derniers temps en français, notons que l'auteur décrit le milieu et emploie cette appellation depuis les années quatre-vingts, à l'instar de Scott Adams et de son Dilbert).

Depuis ma lecture de Generation X, et surtout depuis celle de Microserfs, je suis puissamment fan de Douglas Coupland, dont j'ai lu tous les romans dans l'ordre chronologique de leur publication, à l'exception des deux derniers, qui m'accompagnent justement dans mon séjour chinois. J'ai, accessoirement, intégralement regardé, en la compagnie du Sultan avant qu'il n'achète son chien, la série animée Dilbert, adaptée du strip du même nom. J'ai commencé à lire les archives en ligne dudit strip, mais l'accès n'étant pas facile depuis la Chine (un grief récurrent que je me verrai un plaisir de remiser au placard une fois regagné le plancher des vaches fromagères), j'ai mis ma lecture de côté.

Avant de clore le présent billet, je signalerai pour mémoire (la mienne, faillible, et à laquelle ce journal supplée) que la semaine dernière j'ai, pour la première fois, mangé du chien, après plus de six mois en Chine. A vue de langue, ça n'est pas mauvais, mais comme les Chinois ont décidé qu'il fallait absolument servir cette viande avec un max de piments rouges, je n'ai pu qu'y tremper le bout de mon organe gustatif avant combustion. Il faudra que je m'informe des usages cynoculinaires en République de Corée (du Sud).

Programme de la soirée: traîner encore un peu en ligne. Poursuivre ma lecture, sur le PC, du cinquième recueil des aventures dessinées de Spider Jerusalem, dans les pages de Transmetropolitan, écrit par Warren Ellis. D'ici une demi-heure à une heure, m'engouffrer sous la couette avec JPod pour la suite des opérations (roman commencé hier, vraisemblablement terminé demain, cinq cent cinquante-cinq pages, je lis quand j'en ai le temps). Tâcher de dormir avant deux heures du matin, en espérant que l'absence de sport aujourd'hui, la lecture passionnante et la musique nocturne de mon voisin ne contribuent pas à me mettre des bâtons dans les roues.

Fin de transmission: vingt heures cinquante-trois (heure française, treize heures cinquante-trois).

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