mercredi 3 juin 2009

Le Parti Pris des Hyènes

Mercredi trois juin deux mille neuf. Vingt heures vingt-et-une du matin. A quelques jours près, cela fait trois mois que je suis venu m'établir en la riante ville de Lyon (ou sa banlieue-dortoir, Villeurbanne, inséparable, niveau tissu urbain, de la maison-mère qui la couvre). Je m'y plais plutôt. Je dois avouer que je m'y sens plus épanoui qu'ailleurs, où j'ai traîné mes guêtres, ces quarante-cinq mois écoulés.

Ces deux dernières années, depuis que mes études ont pris fin, je suis passé d'un statut d'étudiant préparateur de concours mou en série (zéro heure de travail rémunéré par semaine), à celui de professeur-stagiaire inadapté parachuté dans un bon lycée du centre-ville d'Orléans (huit heures de cours d'anglais hebdomadaires à donner, en plus de deux journées de formation sans intérêt), puis professeur d'anglais oral dans un gros lycée rural chinois (trente heures de labeur par semaine), avant de finir par m'échouer à Lyon, comme libraire/vendeur de produits culturels à caractère ludique (soixante à quatre-vingts heures d'occupation des lieux, à géométrie variable). Je suis gagnant au change.

L'expérience orléanaise ne m'a pas été inutile, outre l'enfer éducatif (mes élèves pâtissaient d'avoir écopé d'un prof peu motivé, gentil mais visiblement paumé), j'ai pu fréquenter mes pairs, et me lancer pour la première fois dans une autonomie domiciliaire plus ou moins bien vécue. Sans parler de l'indépendance financière, qui a surtout des bons côtés, malgré la nécessité de se rationner dans les pulsions d'achat (ce qui était déjà le cas du temps où j'étais étudiant, avec un budget fixe mensuel, et des petits jobs occasionnels venant améliorer l'ordinaire, mais rien d'à la fois constant et substantiel, et puis j'avais encore le porte-avion parental pour me repêcher en cas de semi-noyade).

Quand j'étais sur Orléans, je touchais, grosso modo, treize cents euros mensuels. Je vivais confortablement avec, je payais quelques chose comme trois cent quatre-vingt euros par mois, charges comprises (moins l'électricité), pour un trente mètres carrés de deux pièces. Après six mois sur Orléans, je suis resté deux semaines chez mes parents, avant de partir inopinément pour la République Populaire de Chine, ou des amis d'amis avaient des contacts qui cherchaient quelqu'un pour, et de fil en aiguille je me suis retrouvé au milieu de nulle part, après avoir démissionné de l'Education Nationale française, à persévérer dans l'enseignement, plus pour m'occuper que par vocation. Bon.

En Chine, je disposais d'un cinquante ou soixante mètres carrés, de fonction donc à l'œil, où je logeais, dans l'enceinte du lycée, au contact quotidien de mes élèves et collègues. Le métier n'était heureusement pas le même, et ma condition d'étranger visiblement différent me conférait une aura propre à rendre l'expérience d'enseignant résolument différente. Je touchais, peu ou prou selon les hoquettements du change, six cents euros par mois, et en vivant comme un prince peu dépensier, je mettais de côté quatre cents euros par mois.

Depuis que je suis sur Lyon, je gagne, en gros, mille cent euros par mois, et j'occupe un trente mètres carrés, que je paie quatre cent sept euros par mois, charges comprises (sans l'eau ni l'électricité). Je suis donc dans une situation grosso modo comparable à celle d'Orléans, niveau dépenses incompressibles et entrées d'argent. Ca me va bien. Je ne suis pas dépensier, même si l'argent me brûle les doigts.

Je ne suis pas fasciné par ces questions d'argent, de revenus et de loyer, mais il me semblait intéressant de dresser un bilan de mes trois premiers mois ici. Le travail me plaît, je bosse avec mon frère dans une librairie, et le plus dur est encore de ne pas craquer en achetant trop de marchandises. Il faut aussi manger. Je ne consomme pas assez de fruits, ni suffisamment de légumes, mais je tâcherai d'y remédier. La quantité d'aliments ingérés me maintient en vie, plutôt en forme.

Je me suis arrangé pour ne pas habiter juste à côté de mon lieu de travail. Quand j'étais en région parisienne, j'habitais en banlieue sud, et je devais, selon les années, rester une à trois heures par jour dans les transports en commun (réseau express régional, métropolitain, bus), ou me farcir grosso modo la même durée quotidienne à vélo. Une fois sur Orléans, j'avais élu domicile à trente minutes de mon lieu de travail, trente minutes à pied, et j'avais une distance comparable à parcourir pour rejoindre l'institut universitaire de formation des maîtres. En Chine, il me fallait entre trois et quatre minutes pour arriver en classe. Ici, j'ai quarante minutes de marche à effectuer le matin, autant le soir, ou quinze minutes de vélo aller, quinze minutes de vélo retour, pour couvrir la distance. Ca me fait une sorte de sas de décompression entre l'univers domestique et le milieu carcéral.

Ces derniers temps, je me suis fendu de quelques soirées de lecture pour venir à bout d'un roman récent, de fantasy urbaine, dû à Greg van Eekhout, intitulé Norse Code. Ragnarök en Californie. Les héros sont Hermod, un obscur fils d'Odin passé maître dans l'art du vagabondage, et Mist, une valkyrie renégate, bien déterminés à empêcher la destruction des neuf mondes. Mais quelqu'un, en Asgard et sur Terre, mettra tout en œuvre pour prévenir leur immixtion dans ses plans. Ecriture agréable, à mi-chemin entre la farce et l'épique sentencieux, mélange par ailleurs souvent raté (y compris dans le cas présent, sauf quand il est réussi). C'est un premier roman.

Je suis actuellement plongé dans Forest Mage, second tome de The Soldier Son Trilogy, de Robin Hobb (quatrième trilogie publiée sous le principal pseudonyme de l'auteur, indépendante des trois précédentes, qui se suivent et partagent un même univers). Dans la lignée de Shaman's Crossing, le premier roman du triptyque. J'y passe plusieurs heures par jour, et je subodore qu'il ne survivra pas à mes longues nuits de lecture.

Ce week-end, j'ai réglé son sort à Outrage et Rébellion, dernier roman en date de Catherine Dufour. Ce roman se situe dans le prolongement du Goût de l'Immortalité, que j'avais moins apprécié. Celui-ci se présente sous la forme d'un compte-rendu écrit de documentaire polyphonique, ayant pour thème un mouvement, ou plutôt une série de mouvements, musicaux et donc sociaux, parmi la jeunesse trafiquée d'une Chine troglodyte du vint-quatrième siècle. Pas grand chose à reprocher à ce roman, alors que le précédent m'avait beaucoup fait sourciller. J'analyserai plus en profondeur cet ouvrage si le temps s'en présente.

Programme de la soirée: continuer de tenir la boutique en nocturne, tout en coordonnant le tournoi magique de la soirée. Quand les joueurs en auront fini, regagner mon domicile, à pied ou à bicyclette. Manger quelque chose de froid, par exemple la boîte de saucisses aux lentilles qui m'attend au frigo. Lire jusque vers deux heures du matin, à moins que je ne persévère dans mon visionnage de Battlestar Galactica. Demain matin, dormir tard, rendre visite à un collègue bouquiniste pour y renouveler mon stock de polars. Le midi, manger des nouilles déshydratées achetées un euro trente-cinq chez mon épicier chinois. Ma vie n'en finit pas de trépider.

Aucun commentaire: