mardi 24 février 2009

La Saison des Fromages

Mardi vingt-quatre février deux mille neuf. Heure française. Quatorze heures zéro deux. Je vais tenter de poursuivre le rattrapage narratif entamé dimanche, profitant d'un créneau durant lequel l'ordinateur familial est disponible. Pour le moment, je suis en transit par le domicile parental, où l'unique machine connectée au monde extérieur est partagée par tous les utilisateurs selon un rythme irrégulier. Mon ordinateur portable, acheté en Chine l'an passé mais n'ayant jamais vraiment servi, ne peut pas se connecter au réseau sans fil, pourtant présent, parce que je n'ai toujours pas réussi à extraire des têtes idoines le mot de passe pour m'y connecter. J'ai pourtant essayé. La procrastination n'est pas qu'un défaut personnel, c'est un trait de personnalité qu'on retrouve un peu partout dans ma famille.


J'en étais resté aux environ du vingt-deux janvier dernier. Gommons les détails propres à chaque journée individuelle, pour ne nous concentrer que sur les grands moments. Le dimanche vingt-cinq janvier, je pris place, en compagnie du Sultan et de son épouse, dans un taxi nous conduisant vers Longbu, où demeurait (et où demeure toujours, malgré la concordance des temps) la belle-famille récemment évoquée. J'y avais été invité pour passer, avec eux et leurs autres convives, le réveillon du nouvel an, la journée du nouvel an et la nuit suivante.


Cette fois-ci, le temps était nettement plus maussade que la semaine précédente. Il se mit à pleuvoir peu après notre arrivée, pour ne cesser qu'après notre départ. Le médecin du beau-père lui ayant suggéré de lever le coude sur sa consommation d'alcool fort, celui-ci ne turbinait plus qu'au lèche-boyaux, à défaut de les tordre, lampant des crus modérément corrosifs, titrant dix ou vingt degrés au lieu des cinquante dont il était coutumier. Impitoyable envers ses compagnons de table, il exigea que je partageasse son goût immodéré pour l'ivresse.


Notre séjour s'étendit du dimanche midi au lundi soir (à moins qu'il ne s'agisse du mardi midi, je dois avouer que mes souvenirs se sont quelque peu estompés), quatre copieux repas abondamment arrosés. Pour le nouvel an, il est habituel, en Chine, de manger des jiaozi, sorte de raviolis diversement fourrés. Dans la région où nous nous trouvions, il était d'usage de manger du tofu, ce caillé de soja déclinable à l'infini, selon la farce ou la sauce dont on l'agrémente. Je raffole de tofu, aussi la famille décida-t-elle d'en fournir d'abondance. Autre élément massivement présent, une sorte de résidu de foie fermenté, dont le goût ressemblait à certains fromages. J'en pris plus que de raison.


Les deux jours passés à la campagne ne furent qu'un enchaînement, sans nette séparation entre les segments le composant, de repas trop copieux, trop arrosés, au cours desquels le principal enjeu était de ne pas boire plus de trois ou quatre verres d'alcool fort, sans pour autant froisser l'amour-propre de nos hôtes. Un peu pénible, donc. Ce marathon de la bouffe et du vin nous occupa l'essentiel du temps, le reste étant, principalement, consacré à la digestion. Ayant malencontreusement suggéré que nous jouassions aux cartes, je me suis retrouvé embarqué dans une interminable partie de crapette, dont la variante locale possédait un nombre sans cesse croissant de règles, que nos partenaires de jeu, plutôt que de toutes nous les expliquer avant de jouer, préférèrent nous laisser découvrir à l'usage, au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans le marasme ludique. A la première occasion, je cédai ma place à l'un des frères de la mariée, trop heureux de pouvoir filer faire la sieste, un livre ouvert sur mes yeux morts.


De retour au lycée, il ne me restait plus que deux jours pour profiter de l'instant présent, faire ma valise et mes adieux. Je n'eus pas à promener le chien, ses maîtres ayant pu rester sur place en attendant de retourner à Wuhan pour une énième séance de chasse à la paperasse. Le jeudi vingt-neuf janvier, je pris place à bord du bus qui me devait mener sur Shenzhen, la grande ville du sud chinois faisant face à Hong-Kong que seule une artificielle ligne de démarcation sépare de sa jumelle. Je m'étendrai davantage sur mon séjour à Shenzhen lors d'une prochaine fenêtre de lancement. Pour le moment, je dois monter faire la sieste. Ma vie n'est, étonnamment, pas toujours trépidante.

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