dimanche 22 février 2009

La Mariée Etait en Rouge

Dimanche vingt-deux février deux mille neuf. Vingt-trois heures dix-neuf, heure française (heure chinoise, six heures dix-neuf du matin suivant, mais je n'y suis plus). Beaucoup de choses se sont passées depuis ma dernière entrée dans ce journal. Les conditions matérielles en Chine (pas de réseau au moment du départ de ma petite ville, puis un blocage général du site pour le reste de mon séjour) ont rendu difficile l'actualisation de celui-ci. Depuis deux semaines que j'ai rejoint la France, les événements se sont précipités, rendant difficile la mise à jour. Je me rattraperai ce soir comme je pourrai. Aucune idée, avant d'écrire ces lignes, de l'étendue que couvrira mon compte rendu, ni de quels détails j'omettrai de parler.


Le gros événement du mois dernier, dans ma vie chinoise, était le mariage du Sultan, mon comparse d'exil, avec sa Sultane. Les noces se tinrent de jour, un lundi, le dix-neuf janvier, quelque part dans la campagne à l'est de Xinfeng, quelque chose comme soixante kilomètres, dans un cirque de montagnes écrasé de chaleur. Nous sommes partis le dimanche, en début de journée, pour rejoindre le lieu du mariage. La fiancée s'était, dans la matinée, fait coiffer pour l'occasion. Nous prîmes place vers dix heures du matin à bord d'un taxi loué pour la circonstance, quatre adultes, un adolescent et quatre enfants âgées de un à dix ans.


Il s'agissait de ma première rencontre avec la belle-famille du Sultan, un couple d'agriculteurs d'une quarantaine d'années. Ils cultivent surtout les oranges. Ils habitent une sorte de ferme, en U, composée de trois corps de bâtiment disposés autour d'une cour ouverte sur l'extérieur par un grand portail en fonte. Le domaine est assez vaste, construit avec les moyens du bord, avec un étage qui double le rez-de-chaussée. Une sorte de véranda intérieure fait le tour de l'édifice.

Dès le dimanche midi, nous sommes entrés dans le vif du sujet, avec un repas pantagruélique, abondamment arrosé. Le beau-père ayant une prédilection pour l'alcool fort, il n'a pas hésité à me faire boire avec lui (ainsi que son futur beau-fils, cela va sans dire), portant toast sur toast. Supportant mal l'alcool, digestivement parlant, j'ai tout fait pour freiner ses ardeurs bacchiques. J'ai tout de même terminé le déjeuner bien éméché. Pour évacuer les vapeurs méphitiques, je suis allé me promener dans la montagne avoisinante, bondissant tel un cabri le long de chemins éboulés.


Je n'étais pas encore tout à fait sorti des brumes alcoolisées du midi, malgré une courte sieste interrompue par le coup d'envoi du dîner, vers dix-sept heures trente, qu'il fallut remettre ça. La nourriture était bonne, l'alcool abondant, et malgré ma volonté affirmée de m'en tenir à la bière, j'ai dû céder face à l'inamovible hospitalité beau-paternelle qui ne cessait de vider mon verre de sa bière, pour l'emplir, encore et toujours, de baijiu.


Ridiculement tôt, vers vingt-et-une heures, je suis allé me coucher. J'occupais la chambre d'un des jeunes frères de la mariée, relogé ailleurs dans le complexe. Pour la nuit d'avant le mariage, tradition oblige, le couple n'a pas pu dormir ensemble, si bien que le Sultan est venu me rejoindre sous la couette, en tout bien tout honneur, tandis que sa promise passait la nuit parmi sa parentèle féminine. En s'efforçant de ne pas défaire sa coiffure du matin, la pauvre. Nuit un peu agitée, le froid ambiant n'aidant pas la qualité de mon sommeil, non plus que les fréquentes allées et venues dans la pièce du chien que le Sultan n'avait pu, grand cœur qu'il est, se résoudre à laisser dormir dehors.


Lundi dix-neuf janvier, vers sept heures du matin, nous fûmes réveillés par les prémisses du jour, et ses envoyés, nommément une fiancée mystérieusement rapatriée dans la maison mère, un élève poisseux chargé de surveiller le chien, mais qui n'en fera rien, et de prendre des photos, ce dont il s'acquittera convenablement, et par l'atmosphère électrique régnant sur les lieux. Au cours de la matinée, des tables ont été dressées dans la cour, des invités sont arrivés, petit à petit, disposant près du portail une flotille de scooters, une armada de berlines et prenant place autour desdites tables pour jouer aux cartes sous le soleil.


Le soleil tapait ferme, plus de vint-cinq degrés sous l'à-pic de ses rayons dardant. Rougeoyant du front, je finis par aller quérir, juché sur une motocyclette pilotée par un frère de la mariée, une casquette au village voisin, pour mieux supporter les assauts intempestifs de l'astre du jour. Il faisait chaud. Pour un euro trente environ, je pus acheter une authentique contrefaçon, tricotée main en laine de bouc, à l'effigie d'une célèbre marque d'articles sportifs. Je rejoignis le lieu des agapes quelque temps avant le coup d'envoi des hostilités.


La mariée était en rouge, son époux en col mao. Tous les invités, inutile de le préciser, étaient chinois, sauf moi. On m'assit à la table, dans une pièce couverte (inutile casquette, mais elle me servira par la suite), des amis de la mariée. J'étais le seul ami nominal du marié, le seul occidental, de fait, hormis le héros du jour, qui me faisait tant d'ombre qu'on m'oublia bien vite. Le couple princier était superbement appareillé. Une ambiance de franche camaraderie régnait sur lieux. Simplicité, franchise, bonhommie. Ivresse.


Pour le couple du jour, la cérémonie de mariage consistait, en fait, à faire le tour de toutes les tables, servir à boire aux convives, boire un toast avec eux, essuyer les recommandations pleines de sagesse des aînés, s'éloigner en titubant et recommencer le processus à la table suivante. Comme il devait y avoir entre cent cinquante et deux cents invités, à raison de six à huit personnes par table, ils durent toaster, à la bière, une trentaine de tables (ou je me trompe dans ma division, ce qui n'aurait rien d'étonnant, vue la quantité de bière bue ce même jour par votre serviteur).


Une fois achevée la circumambulation dînatoire, le couple était considéré comme marié par la communauté des vivants, bien qu'il lui manquât encore le sceau de l'Etat, au bas des papiers spécialement imprimés à cet effet dans un bureau perdu au détour d'un quelconque centre administratif des plaines de Chine centrale (à l'heure où j'écris ces lignes, les procédures idoines sont venues officialiser ce que leurs proches avaient entériné, au vu et su de tous, quelques semaines auparavant). Mazel tov.


Peu après le banquet, bouclé en moins de deux heures (la norme nationale en matière de mariage, il ne s'agit nullement d'une noce bâclée), nous fûmes installés à bord de berlines à destination de notre petite ville, où le couple heureux pourrait, en compagnie du chien, jouir d'une nuit de noces chez eux. Six ou sept proches parents nous accompagnèrent, chargés de cadeaux, tandis que la belle-mère, en pleurs, voyait partir sa fille unique au bras du beau ténébreux venu du lointain Vilayat. Séquence émotions.


Ma dernière semaine sur Xinfeng s'est passée dans la solitude, les élèves du lycée ayant tous préalablement regagné leurs campagnes respectives. Je gardai le chien trois jours durant, à l'occasion d'une sorte de voyage de noces, le couple Sultanesque devant, une fois de plus, gagner Wuhan pour faire avaliser par le consulat leur demande de mariage. C'était la première fois que je côtoyai un chien, tout seul avec lui, de ma vie. Mes parents ont un chat depuis une quinzaine d'années, mais je ne connaissais pas les plaisirs de la compagnie canine. J'en acquérerai peut-être un, dans un avenir incertain, si la solitude me pèse trop et que mon célibat se prolonge. Ou un chat. Ou un poisson rouge. Ou pas.


Ces vacances scolaires étaient aussi l'occasion pour d'anciens élèves de rentrer au pays, depuis leurs lointaines universités, pour retourner, avec leurs camarades d'alors, sur les lieux de tant d'instants intenses. J'en ai donc croisés plusieurs, au cours de mes promenades de chien ou de mes randonnées au sein du lycée. Il faisait de nouveau froid, sauf en pleine journée quand le soleil brillait, ou que je courais après le cabot dans les sous-bois du lycée. Il faisait toujours aussi froid dans mon logement, malgré un bref redoux qui avait fait resurgir quelques cafards vite abattus et un ou deux vampires volants.


La solitude de cette ultime semaine m'a presque pesé. Impossible de prendre un billet de train avant le jour du départ. Je devais partir le jeudi vingt-neuf janvier, au cœur de la semaine de l'année où les Chinois prennent le plus le train, juste après leur nouvel an, pour rentrer dans leurs foyers avant de regagner leurs lieux de travail, souvent situés dans les grandes villes de la côte. Je reviendrai prochainement sur la façon dont j'ai passé le jour de l'an, mon périple dans le grand Sud, mon retour en avion, triomphal, au pays natal, et sur les péripéties qui s'ensuivirent. Bonne nuit chez vous.