lundi 3 août 2009

Ma Maison est en Carton

Lundi trois août deux mille neuf. Midi quatorze du matin. Tout seul depuis ce matin à la boutique. Mon frère n'a pas pu partir en Ecosse comme initialement prévu, pour une obscure question de délai dans la délivrance de papiers d'identité, mais comme les billets de train étaient déjà réservés, il passera une grosse dizaine de jours en région parisienne, en Normandie, ou ailleurs. Que sais-je. Mais il ne sera pas à l'étranger, donc je pourrai le déranger toutes les cinq minutes en l'appelant sur son portable pour des détails insignifiants dans la gestion de son magasin.

La semaine dernière, j'ai hébergé Vertige, venu sur Lyon découvrir la ville et s'entretenir professionnellement avec des gens. Je pense qu'il a plutôt apprécié le coin, j'ai pour ma part quelque peu manqué de disponibilité pour me rendre présent, mais j'ai offert mon toit, mon frigo et mon rare temps libre à l'ami de passage. C'était la seconde fois qu'un hôte de passage vient me rendre visite, et j'ai toujours un matelas d'appoint pour ces circonstances. Qu'on se le tienne pour dit.

Mardi dernier, comme prévu, mes parents ont débarqué à bord d'un camion de déménagement. Aidés par ma belle-sœur et deux clients, nous avons fait gravir les quatre étages doubles aux quatre-vingts cartons, aux quelques meubles et à nos corps fatigués. Bilan des courses, un début de tendinite qui ne s'est pas arrangé après quatre jours intenses à la boutique, à rester debout le plus clair du temps, à déambuler dans les rayons où nous avons ajouté des étagères, qu'il m'a fallu regarnir en déplaçant, plusieurs fois d'affilée, l'ensemble des livres que nous vendons (et ils sont nombreux). Il me reste à finir de reclasser le tout début de l'alphabet, et la toute fin. Et à trouver un mètre cinquante de rayons pour y mettre les ouvrages déplacés par mon frère pour faire de la place dans un autre rayon (où j'ai pour le moment stocké, en vrac, ce qui dépassait). Doooonc, j'ai encore pas mal de pain sur la planche.

Hier dimanche, je me reposais, mais comme la veille, j'avais fini de travailler vers quatre heures du matin (soit dix-huit heures consécutives de labeur, avec un samedi au milieu, soit la journée la plus active de la semaine, et un rejet gastrique vers dix-huit heures, mon sandwich pas frais de l'avant-veille qui n'est finalement pas passé, surtout à m'accroupir sans cesse dans les rayons pour en extraire des kilos de papier pour recommencer l'opération immédiatement après, très mauvais pour les genoux, mais mes abdos se portent bien, merci pour eux), j'ai peu dormi, et le repos pris n'a pas suffi à compenser la fatigue accumulée.

Dans l'après-midi, je suis allé boire une bière au bar-restaurant qui nous prête sa salle pour faire des tournois de cartes le dimanche, j'y ai récupéré l'ordinateur portable de la boutique, quelques boîtes de cartes non utilisées pour le tournoi, avant de filer vers le magasin, où j'ai pu récupérer les clefs qu'un associé avait utilisées pour tenir le fort pendant mon jour de congé. En soirée, deux parties de jeux de plateau de durée moyenne avec des habitués. Retour vers minuit, le sommeil n'est venu que vers quatre heures du matin, après visionnage des quatre premiers épisodes de la seconde saison de Battlestar Galactica, la récente série. Je passerai sans doute une ou deux heures ce soir à regarder la suite.

Ce lundi matin, la fatigue est au rendez-vous, même si les clients se font rares. L'effet mois d'août, j'imagine. Aucune vente pour le moment (il est midi trente-cinq), malgré deux ou trois brefs passages de clients putatifs. Les éboueurs m'ont gentiment engueulé parce que les poubelles de l'immeuble (que je n'ai pas pu remplir de la récolte de déchets du week-end, because les professionnels de l'ordure ne sont pas passés à l'heure habituelle, ce qui me permet d'ordinaire, en venant une demi-heure plus tôt au boulot, de sortir les poubelles avant d'ouvrir) contenaient des copeaux de neige blanche, fort volatiles, que j'y avais entassés, n'ayant guère le choix, vu qu'un de nos principaux fournisseurs aime en emplir ses cartons. Un autre de nos fournisseurs est déjà passé ce matin, trois cartons que j'ai aussitôt ouverts, inventoriés, découpés et ajoutés au stock. Je suis débordé.

Je pense que les dix jours à venir seront difficiles. Mes associés se sont manifestés pour me dire que je pourrais faire appel à eux en cas de besoin, pour m'épauler ou me remplacer ponctuellement, les jours où eux-mêmes sont libres. L'offre n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd, et quand la fatigue me terrassera, ou que clients, livraisons et commandes me subermergeront, je verrai bien s'ils sont disponibles. Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, je me sais mal préparé à tout gérer tout seul. Les commandes (même si plusieurs de nos fournisseurs seront partis, justement cette semaine, pour d'obscures raisons de départ en vacances), la comptabilité et la gestion du stock en général, je ne m'en suis jamais occupé, et je ne suis pas sûr de pouvoir le faire (mais il faudra bien). Et plusieurs gammes de produits, que mon frère connaît sur le bout des doigts, me sont encore massivement hermétiques.

Du coup, entre les journées de quinze heures de travail et la fatigue nerveuse, musculaire et tendinique, je n'ai guère avancé les rangements chez moi. La plupart des cartons ont été ouverts, mais une petite moitié s'est vu empiler dans un coin, en attendant que le courage me prenne de monter l'étagère en pièces détachées que mes parents m'ont laissée. Je n'ai pas de marteau, donc je compte emprunter celui de la boutique, maintenant que nous avons terminé d'y monter les nouvelles étagères, mais il faudra que je m'occupe de l'assemblage et du remplissage le matin avant neuf heures, à une heure où je suis généralement occupé, sinon à dormir, du moins à gérer le quotidien de mon domicile.

Choses à faire demain matin très tôt, avant de venir au magasin vider les poubelles, ranger les livres et retrouver les produits égarés dans les profondeurs de la réserve (dont l'espace intérieur est de loin supérieur au volume extérieur, mais ne cesse de faire défaut): prendre une douche intégrale, longue et shampooinée, avec de l'eau chaude que j'aurai pris le temps de fabriquer en branchant mon ballon, deux heures avant la prise de douche; passer une heure entre la laverie, où je regarderai tourner mon linge, animé d'une volonté propre, baigner dans une dédoction purificatrice, à l'abri d'un hublot circulaire aux vertus hypnotiques, surtout tôt le matin, et mon studio, où je déploierai le séchoir en métal idoine, propice au desséchement du linge une fois propre, mais humide; traîner mes guêtres dans les allées du supermarché de proximité, y recomposer mes réserves alimentaires, fort déplétées par l'enchaînement des petits-déj', l'accueil prolongé de Vertige et le temps qui m'a fait, précisément, défaut, pour entretenir mon stock. Et c'est tout, je crois, pour demain matin.

La semaine a donc été pauvre en lectures. J'ai achevé Janua Vera, recueil passionnant, auquel je devrai ajouter la nouvelle contenue uniquement dans la version de poche, et Gagner la Guerre, du même Jean-Philippe Jaworski, que j'ai chez moi, parmi d'autres ouvrages, fort nombreux au demeurant, attendant d'être lus. J'ai profité de mon jour de repos pour lire le premier volume de Chroniques des Nouveaux Mondes, de Jean-Marc Ligny, et j'ai repris ma lecture d'Outlander, de Diana Gabaldon, dont j'espère pouvoir venir à bout prochainement (encore trois cents pages de romance cross-temporelle sur les hautes terres d'Ecosse).

Programme de la journée: tenir le coup, à grands renforts de café et de sandwiches que je n'ai pas eu le temps de préparer ce matin, et que je ne pourrai donc pas manger. Faire venir les clients, par la puissance de mes ondes télépathiques, et assurer par mon dynamisme, mon professionnalisme et mes verbiages, l'avenir financier de mon commerce. En soirée, tenir un tournoi magique pendant que je tenterai d'achever les rangements, dont je ne m'occupe pas pour le moment, parce qu'étant seul, je ne puis me réfugier dans les espaces liminaires du monde matériel, car ainsi procéder serait me dissimuler à la vue de mes contemporains, lesquels n'oseraient franchir le seuil du magasin ou, pire encore, le pourraient franchir à mon insu, déambuler librement dans les allées du lieu, acquérir sans me le dire les produits disposés sur les rayonnages, partir sans payer ou, pire encore, se sentir mal accueillis, mal servis, mal conseillés, alors même que je dispose de toutes les réponses aux questions qu'ils n'oseront pas me poser.

Programme des heures à venir: en attendant un bref passage de mon frère, entre deux trains, le temps de récupérer les clefs du domicile parental et me prodiguer quelques conseils salutaires, gérer le stock, les livraisons, les clients, lire quelques pages du roman entamé, me renseigner sur les nouveautés, présentes et à venir, du monde de l'édition, et caetera. Mes genoux me tirent, ma cheville me lance, mon estomac gargouille et la solitude me plonge dans des affres d'angoisse cosmique. A moins que ça ne soit la faim. Réponse après ingestion d'un morceau de pain rassis, tartiné de beurre rance, si je trouve une âme charitable pour m'aller quérir la bête. Le mois d'août en solitaire, ça n'est pas facile tous les jours.

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