dimanche 3 mai 2009

Parcheminage des Rotatives

Dimanche trois mai deux mille neuf. Dix-huit heures six du matin. Je viens de franchir les quatre-vingts heures de travail depuis le début de la semaine, ou peu s'en faut. J'ai travaillé tous les jours, premier mai inclus. Mon frère a profité du long week-end pour se faire kidnapper par sa moitié, traîner à la campagne loin de son commerce bien-aimé. Je m'en suis chargé, avec les variations de rythme propres à ce genre d'activité, un week-end de trois jours durant lequel beaucoup de citadins ont profité du pont pour fuir à la campagne, ou ignorent tout simplement que nous sommes ouverts.

De temps à autre, un client égaré passe dans la boutique, achète une cannette de thé glacé, voire un roman, un paquet de cartes magiques, sinon un jeu de rôles. Un couple italien préfère que nous communiquions en anglais, ce qui me dérouille un peu la langue. Le reste du temps, je veille, seul sur le pont, attendant qu'un chaland pousse la porte de mon échoppe. Hier, samedi, nous avions du monde, submergeant par vagues mon cerveau saturé par l'absence de repos ces derniers jours. Je surnage comme je peux.

Depuis hier, et jusqu'à demain matin sans doute, Joe Gold est mon hôte, en visite depuis sa Suisse natale, avant de partir une semaine à New York. Je lui fais découvrir Lyon, ville qu'il arpente pour la première fois, et n'étaient mes horaires de travail étirables à merci, je l'accompagnerais dans ses randonnées urbaines. Le matelas d'appoint pour amis de passage a bien servi. Avis aux amateurs.

J'en suis au cinquième thé depuis ce matin, et j'enchaîne les mugs de stupéfiants gazeux, dont j'ai fait la découverte il y a quelques semaines, que nous vendons à la boutique, et dont je tends à abuser. Je tente aussi vaguement de m'absorber dans la lecture de John M. Ford, que je n'ai malheureusement pas encore pu achever, malgré mon désir d'en finir. The Princes of the Air.

Nous sommes dans un avenir imprécis, la Reine de l'humanité domine les quinze mondes connus, colonisés. Orden Obeck est un orphelin, qui s'est endetté pour faire des études, seul moyen d'échapper à sa condition. Avec deux amis, issus du même creuset mais ayant refusé tout compromis, il entreprend de se tailler une place au soleil, qui par la voie diplomatique, qui par le mercenariat. D'aventures en déconvenues, les trois jeunes gens prennent la pleine mesure de leur place dans l'univers.

Depuis bientôt trois mois que j'ai quitté la Chine, je n'ai guère rendu compte de mes lectures, et c'est dommage, car elles ont été nombreuses, et j'aurais beaucoup à en dire. Je le ferai sans doute un de ces jours. Hop, sous le tapis. Ménage rapide, succès garanti, lendemains qui chantent, s'abstenir.

Walter Jon Williams a publié un nouveau roman, il s'agit de This is not a Game, dans la lignée de la nouvelle trilogie de William Gibson, des romans cyberpunk dans l'esprit, sinon dans la forme: futur immédiat, avancées technologiques actuelles, société nullement différente de ce que nous connaissons, le monde réel comme toile de fond. Veille médiatique, enjeux internationaux. Ici, la bourse et les jeux vidéo. Chez Gibson, la publicité et les tendances en marketing urbain.

Egalement présent sur les rayons de toutes les bonnes librairies, Avaleur de Mondes, traduction française de Implied Spaces, le précédent roman du même Walter Jon Williams. J'ai peut-être omis de le préciser, mais WJW est un auteur que j'apprécie énormément. Ces deux romans sont très bien. J'ai aussi mis la main, après des années de recherche plus ou moins active, au juste prix, sur The Rift, également de Walter Jon Williams; je le lirai bientôt.

Je n'ai toujours pas d'accès internet chez moi, et je n'en aurai pas, pour économiser des bouts de chandelle et préserver un environnement dépourvu de toute exposition médiatique: ni télévision, ni radio, ni journaux. Aucune ouverture sur le monde extérieur, sinon par la musique et les livres. Je redécouvre par anticipation Nicolas Bouvier, et Jack Kerouac, le moment me semble bien choisi pour m'y replonger.

En juillet, j'irai passer quinze jours au Japon, après quatorze ans d'absence, pour le mariage de Piotr, avec d'autres amis, mais pas le Sultan, qui ne pourra pas faire le déplacement depuis la Chine. Un peu Tôkyô, un peu la campagne, quelques jours de trekking dans un parc naturel de Hokkaïdô, au programme. Et une reprise de contact avec l'idiome local, effroyablement rouillé, depuis des années que je n'y recours plus.

Les moustiques ont refait leur apparition dans mon environnement, et après en avoir pris trois au dépourvu, les tuant avant qu'ils ne me ponctionnent, le quatrième a prélevé son écot de sang, me laissant en échange un cocktail d'anti-cicatrisants et de démangeaisons.

Hier, je me suis coupé en faisant tomber des boîtes de cartes magiques, empilées selon une logique précaire dont je suis seul responsable. Je me suis entaillé le poignet. Je ne souffre pas, car je suis un homme, et j'ai longuement regardé Rocky quand j'étais petit. Je n'ai pas désinfecté la plaie, et je m'attends à ce que ma main pourrisse et se détache du reste de mon corps. Nécro-animée, elle ira se réfugier sous l'une ou l'autre de mes bibliothèques croulant sous le poids des livres là entassés.

Catherine Dufour, Le Goût de l'Immortalité, un roman que j'ai lu récemment. Des moustiques, des zombies, de l'amertume et un avenir sombre. Quelques maladresses, des partis-pris qui m'ont fait tiquer, des quiproquos qui me hérissent le poil, mais malgré tout, une intrigue bien menée, des thématiques agréables à démêler, un auteur tête-à-claques dans sa postface, mais si on supprimait le protagoniste principal, le roman serait bon. A suivre.

Thomas Day. Un auteur français là encore. Plusieurs courts romans lus ces derniers temps. La Voie du Sabre et L'Homme qui voulait tuer l'empereur, un diptyque situé dans un Japon alternatif, avec des dragons. Miyamoto Musashi, une encre rendant immortel au prix d'une déshumanisation (à la God-Emperor of Dune), une histoire de vengeance. Du pulp rondement mené. Du même auteur, This is not America, recueil de trois nouvelles uchroniques, et L'automate de Nuremberg, à mi-chemin de Frankenstein et autre chose (voilà qui est précis). Pour le moment, j'aime bien ce que fait cet auteur.

The Name of the Wind, de Patrick Rothfuss. Premier roman prometteur, de fantasy à rallonge, par un auteur que nous avons failli avoir en dédicace à la boutique, mais qui finalement n'y passera pas. Deux récits emboîtés l'un dans l'autre, autobiographie d'un dégonfleur de mythe.

Et beaucoup d'autres lectures, mais pour le moment, je n'entrerai pas dans les détails. J'ai dressé une liste quelque part. Ce soir, j'entamerai autre chose, je ne sais pas encore quoi. Les choix sont nombreux. Je dois m'efforcer de réduire mes achats en livres, mais je crains forts de n'y parvenir qu'au prix de mon humanité.

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